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Pragmatique: Dis-moi donc, Furetante, à quoi penses-tu encore ? Tu n’as pas mangé un seul de tes macarons préférés !

Furetante : Hmmm ?

Pragmatique :Tu es malade ?

Furetante: Pire que ça !

Pragmatique : Que s’est-il passé encore ?

Furetante: C’était hier, à la salle des ventes. J’étais venue en promeneuse, pour une fois je n’avais rien repéré…

Pragmatique : Tu veux me faire croire ça, à moi !?

Furetante :Bon d’accord, il y avait bien ce petit autoportrait de peintre, en gants de boxe. Perdu dans une vente de succession au milieu de tableaux sans intérêt. J’avais bien rêvé d’un coup de chance…

J’arrive un peu en avance, et je vois qu’il y a foule. Tous des visages connus. On se salue. On engage le dialogue sans trop appuyer. Les questions et les réponses se ressemblent étrangement.

- Alors tu vas faire des affaires aujourd’hui ?

 Réponse d’un air dégagé :

- Mais non, il n’y a rien, je suis la seulement en touriste.

Bon, tout le monde est là en touriste : les collectionneurs d’art du début du XXème siècle, les marchands spécialisés, les courtiers. C’était peu crédible.

Je me suis dit que je pouvais dire adieu à mon boxeur, tout le monde était venu pour lui, flairant la bonne affaire.

Les portes s’ouvrent, chacun s’installe pour surveiller ses rivaux. Dans le coin droit, trois barbus blonds parlent en russe, j’entends prononcer le nom d’Ilya Machkov. Je ne m’étais pas trompée. Le boxeur est l’œuvre d’un des maîtres de l’avant-garde russe. Une cote à six chiffres dans les ventes spécialisées. Il va y avoir du sport.

- Bonjour mon public adoré, clame la commissaire-priseuse.

Dans cette étude, c’est une femme qui mène les enchères et d’une main de fer. Elle crie, vocifère, aboie même parfois et terrorise avec délices ceux qui passent à la portée de son humour féroce.

- Brrr, elle me fait penser à mon instit de CP, dit une forte tête derrière moi

Après avoir expédié les premiers lots, la commissaire-priseuse passe aux tableaux.

- Commissionnaire, montrez à mon public adoré cette œuvre exceptionnelle. C’est une petite merveille. Un authentique Van den Kroutten*.

Quelques rires dans la salle. L’ambiance est électrique. On l’entend à ce brouhaha sourd qui monte d’un cran à chaque nouveau tableau. On y est presque. À force de vendre des Van den Kroutten pour dix euros pièces, la commissaire-priseuse n’a plus qu’un tableau à vendre avant le Machkov.

Soudain, le silence se fait. On sent comme un poids dans la salle. Je me retourne. Dans la salle bondée où se pressent les brocanteurs au coude à coude, il y a maintenant un vide. Et un homme au milieu. Imperceptiblement, chacun prend ses distances, s’éloigne sans en avoir l’air du nouveau venu et le cercle de vide autour de lui va en s’élargissant.

Pragmatique : Comment était-il, cet homme ?

Furetante : Difficile à décrire. Jean noir, blouson de cuir noir, cheveux longs, barbe de trois jours, nez en bec d’aigle, regard glacé. Le look que tout acteur rêve d’avoir, sauf que là c’était juste naturel.

Pragmatique : De quel look tu parles ?

Furetante : Celui du type dangereux…

Pragmatique : Tu te moques de moi ?!

Furetante : Ah pas du tout. Le mépris au coin de la bouche, une colère rentrée qu’on sentait bouillonner…et…une bosse au niveau de la poche intérieure de son perfecto. J’en frémis encore.

Du côté des barbus russes, on entend un rapide murmure puis un mot circule de bouche en bouche : « Tchétchène ». C’est dans cette ambiance tendue qu’arrive le tableau de Machkov.

La commissaire-priseuse s’adresse à son public.

- Ça, ce n’est pas un Van d’en Kroutten. Vous êtes tous venus pour ça, je le vois bien. Bon, on commence par une toute petite mise à prix 100 euros.

Une enchère fuse tout de suite : 200 !

C’est à ce moment que le Tchétchène a froncé les sourcils. Simplement froncé, la main glissée sous son perfecto, tout près de la bosse

- 210 euros a-t-il fait, en roulant lourdement le R.

Et il a regardé la commissaire-priseuse, les yeux dans les yeux, et a attendu. Pas un murmure dans la salle, pas un geste, aucune enchère.

Tu ne le croiras jamais, Pragmatique, mais il a eu le tableau à 210€. Personne n’a osé se confronter à lui.

Pragmatique : Et qu’est-ce qui s’est passé ?!

Furetante : Rien ou plutôt tout. Je suis amoouuuuureeeeuseeee !

Pragmatique : C’est pas vrai ! mais enfin, Furetante, le trip bad boy, c’est complètement dépassé.

* Van den Kroutten : petit nom affectueux pour croûte essayant de se faire passer pour un tableau de maître

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