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Une île expressionniste : Montparnasse

Au début du XXème siècle, le quartier Montparnasse s’impose peu à peu comme le centre de la vie artistique de Paris. À la fin de la guerre de 14-18, ce quartier détrône définitivement Montmartre. Les artistes, étrangers ou non, qui forment le cœur de la Première École de Paris se sont installés dans les rues qui entourent la gare. Leurs ateliers sont : cité Falguière (Modigliani), rue Dampierre (Auguste Clergé), passage du Montparnasse (Marie Vassilieff), rue de la Grande Chaumière (Foujita).
Les cafés du Dôme et de la Rotonde sont leurs cantines, la Coupole, nouveau café à la mode, orne ses piliers de leurs œuvres.

Une nouvelle peinture se déploie, brutale, intense, expressive. Pour elle, il faut inventer un type de cadre, qui sache la mettre en valeur sans tempérer ni sa force ni son audace. C’est ainsi que naquirent les cadres Montparnasse, parfaitement adaptés aux effets de matières et aux couleurs particulières de la Première école de Paris.

Le cadre Montparnasse est profondément original. Deux spécificités le caractérisent : il est en bois sculpté et son aspect est volontairement mal dégrossi.

Le retour du bois sculpté : incisif et plein de force

Le cadre Montparnasse se définit par la réapparition des cadres en bois sculpté dans la masse. Les décors stuqués et moulés qui ornaient les cadres des tableaux XIXème disparaissent, car ils sont trop raffinés et répétitifs. La sculpture est nerveuse et incisive, les coups de ciseaux visibles. Le traitement du motif décoratif devient libre, volontairement primitif.

Les proportions sont délibérément agrandies. Tout est fait pour donner une impression de rapidité, de force, un côté volontairement brut. Le cadre Montparnasse est au cadre traditionnel ce qu’une composition impressionniste est à un tableau académique. La sculpture Montparnasse reprend les motifs et le langage décoratif des cadres des époques précédentes mais en les modifiant complètement, en leur donnant un autre esprit. Voici par exemple un cadre Montparnasse de style Louis Philippe, reconnaissable à sa large gorge. Le décor des moulures est une simple entaille de ciseau en chevron.


Albert Decaris. Lucrecia. Huile sur toile

Le sculpteur peut aller très loin dans l'interprétation libre, comme le montre le cadre ci-dessous, inspiré des cadres à canaux du Premier Empire.

Le décor : la grande nouveauté du cadre Montparnasse

Lorsque l’on parle du décor d’un cadre, on fait référence à l’aspect et à la technique des finitions qui donnent au cadre son apparence. Il s’agit par exemple de dorure, de cire, de patine, d’apprêt ou de gesso, de peinture, de laque, etc. Le décor du cadre Montparnasse est totalement inédit. Moins dans le matériau utilisé que dans sa façon d’être préparé, appliqué et fini : la sculpture est mise en valeur par un décor volontairement imparfait.

La manière dont le bois sculpté du cadre est décoré fait appel à des techniques traditionnelles.

Le cadre en bois, sculpté ou avec une simple gorge lisse, est enduit de blanc de Meudon et de colle de peau de lapin en plusieurs couches. Les premières couches sont blanches ou d’argile rouge, la dernière est colorée avec des pigments de terre dans les vert-de-gris, les gris ou les bruns ternes. Les pigments, comme la terre pourrie ou la terre d’ombre, sont particulièrement appréciés.

Mais le travail est volontairement « saboté »

Les couches sont grossièrement appliquées, et laissent apparaître les marques des coups de pinceau. L’apprêt au blanc de Meudon est passé très vite, sur un bois mal séché, à une température trop basse pour qu’il accroche parfaitement sur le support. Tout est fait pour qu’il vieillisse en se craquelant et en se fissurant. Et si l’aspect est trop lisse, l’enduit est frotté, usé délibérément. C’est la recherche de la vigueur d’un effet brut, en opposition ouverte au « bel ouvrage ».

L’artisan cherche volontairement à provoquer des éclats, des sauts et des écailles de décor. L’apparition du bois brut sous la couche de décor est voulue. Le cadre est fait pour s’écailler, se patiner, vieillir. Jusqu’au gris du décor qui évoque la teinte de la couche de poussière qui macule les tableaux dans les ateliers des artistes. Les teintes vont de gris souris à gris clair, parfois blanc cassé mais jamais doré. Il y a aussi toutes les teintes de bruns sales et d'oxyde de cuivre comme le vert-de-gris.

L'abâtardissement du cadre Montparnasse

La guerre de 40 et les trente glorieuses voient se produire une réinterprétation du cadre Montparnasse. Il devient plus lisse, les sculptures sont moins irrégulières. On voit même, et c’est presque un sacrilège, la réapparition de rehauts d’or, même parfois la surface est totalement dorée. Tout ce qui fait l’authenticité du style du cadre Montparnasse des origines disparaît peu à peu. L’esprit de rébellion s’engourdit, le goût de la clientèle impose un embourgeoisement de plus en plus conventionnel.


Photographie d'un cadre Montparnasse des années 50.

Mais au fil des temps, les vrais, les authentiques cadres Montparnasse des années trente ont conquis leur légitimité. Il est fini le temps où on les repeignait pour dissimuler les imperfections. Ils sont appréciés à leur juste valeur, avec leurs harmonieux défauts et leurs belles craquelures.

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