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Les nouveaux aspects de la peinture de désert

Le désert peint dans sa vérité quotidienne

Maintenant que le désert a perdu le côté intemporel et onirique qui était jusqu'alors le propre de toutes les œuvres orientalistes, les peintres livrent la vérité du désert, sans fantasme, comme le simple environnement d'une vie quotidienne, avec ses difficultés et ses peines.


Jean Seignemartin (1848-1875). Paysage d'hiver. 1875
in Les Orientalistes de Christine Peltre. Hazan.

Seignemartin, peintre malade de tuberculose parti vivre les derniers mois de son existence à Alger, donne du désert une image fidèle et sans complaisance.


Charles Cottet (1863-1925). Femmes dans le désert.in Les Orientalistes de Christine Peltre. Hazan.

Charles Cottet, quant à lui, destine nombre de ses œuvres à retracer la vie quotidienne de ceux qu'on ne remarque pas, femmes voilées, fellahs, dans leur cadre désertique, représenté sans fards ni enjolivements.

Le désert peint pour sa force explicative

Le désert apporte par sa simple existence un sens au tableau que chacun comprend désormais instinctivement. Dans cette Fantasia de 1900 par exemple, c’est le désert qui définit le courage des guerriers.


Maurice Romberg de Vaucorbeil. Fantasia devant Moulay-Hassan © RMN-Grand Palais (musée du quai Branly - Jacques Chirac) / Daniel Arnaudet

Dans la Fantasia de Fromentin, le désert n’avait pas encore de rôle, il n'était peint que pour situer la scène dans un ancrage terrestre. Dans le tableau de Vaucorbeil, au contraire, le désert a pris valeur de sens. Le peintre sait que, en regardant les dunes de sable, le public va ressentir quelque chose de la force guerrière que l'artiste entend magnifier. La Bohémienne endormie du Douanier Rousseau est tout aussi frappante.


Henri Rousseau (1844-1910). Bohémienne endormie. 1897.in Les Orientalistes de Christine Peltre. Hazan.

Henri Rousseau s'empare du désert pour la valeur mystique qui s'en dégage. Frappé par l’œuvre de Léon Matout, (Femme de Boghari tuée par une lionne), il revisite complètement ce tableau grandiloquent pour accorder au paysage de désert la valeur d’une révélation visionnaire.

Le désert, le saut vers la modernité

Nombreux furent les mouvements picturaux du vingtième siècle naissant qui se sont enrichis et développés grâce aux éléments constitutifs de la peinture de désert.

Le symbolisme

Le symbolisme doit beaucoup à la peinture du désert. Le vide du désert découpe les formes et amène la simplification des contours. C’est ce même traitement de la forme que le symbolisme va adopter comme signe de ralliement. Les nuances délicates propres au symbolisme trouvent aussi leur source dans les teintes subtiles que seul le désert déploie.

Sans les peintures de désert, le courant symboliste n’aurait probablement pas cette subtilité des couleurs. Cette brume de chaleur qui efface les contours, ces cieux blancs, ces ambiances ouatées de petits matins dans les oueds ont tant impressionné les symbolistes qu’ils en ont fait la marque de leur style. Même si pour beaucoup, cela reste au niveau inconscient.


Gustave Guillaumet (1840-1887). Chiens du Douar dévorant un cheval mort au milieu des gorges d’El Kantara. Salon 1883
in Les Orientalistes de Christine Peltre. Hazan.

On voit bien, en comparant ce tableau de Guillaumet à une œuvre d'Alphonse Osbert réalisée en 1900, comment les tableaux du désert ont inspiré la démarche symboliste, tant dans la stylisation des formes que dans le raffinement des coloris.


Alphonse Osbert Transport par chameaux dans le désert de Somalie. 1900© RMN
 

Le fauvisme

Si les symbolistes ont été influencés par l'aspect poudré des teintes que prend le désert soumis à l'ardeur du soleil, les peintres fauves ont été frappés par la puissance des couleurs pures dont se parait le désert à l'aurore ou au coucher du soleil. Ils ont perçu, en observant les toiles de désert présentées au Salon ou, comme Matisse, en faisant le voyage vers l'Afrique, combien les couleurs pouvaient changer de vérité. Une montagne "ocre éteint" pouvait devenir rouge sang ou violette selon les heures du jour et s'animer d'une vie nouvelle.

Si les Fauves ont peint très peu de paysages de désert, ils ont sans nul doute intégré les modifications de couleur, que les peintres du désert avaient perçues, à leur réflexion sur le coloris, et peuplés d'arbres rouges et violets, aux harmonies très désertiques, les campagnes bretonnes ou provençales.

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André Derain (1880 - 1954). L'Estaque, route tournante. 1906.Museum of Fine Arts, Houston© PHOTO SCALA, FLORENCE.
 

Les avant-gardes russes

Le mouvement symboliste russe de la Rose bleue a beaucoup travaillé sur le désert, mais dans une tout autre gamme de coloris, comme le montrent des scènes de désert khirgize peintes par Pavel Kouznetsov.


Pavel Kouznetsov. Dans la steppe. Mirage.1911. © Wikipedia

Ces peintres ont œuvré en découpant et stylisant les formes, dans la mouvance de ce qu'on nomme maintenant le cubo-futurisme russe. Les représentations de désert, comme celles que l'on trouve dans l'œuvre de Martiros Sarian constituent un aspect passionnant de l’avant-garde russe en marche vers l’abstraction.


Martiros Sarian. Désert . Пустыня . 1911©WikiArt

Seuls l’arbre et ce petit personnage sur son dromadaire nous ancrent dans le concret. Le reste n’est que formes et couleurs empilées, triturées, abstraites au sens premier de l'abstraction, c'est-à-dire retirées, déduites du réel.

L'abstraction : Paul Klee et la réduction des formes

Les aquarelles peintes par Klee lors de son voyage en Tunisie en 1914 avec August Macke démontrent combien la force inspirante du désert a continué à marquer la naissance de l'art abstrait.


Paul Klee. Kairouan. Devant la porte.1914.Moderna Museet Stockolm©SWIswissinfo.ch

Les aquarelles de Klee témoignent de l'éblouissement que l'artiste a ressenti face aux paysages désertiques. Klee a traduit par des formes abstraites les architectures réduites par le soleil à des entrecroisements d’horizontales et de verticales. Il utilisera d'ailleurs toujours, tout au cours de son œuvre, certaines des teintes propres au désert, les couleurs poudrées avec des verts et des bleus éteints, les couleurs de sable qui s’amoncèlent au sommet des dunes.

Conclusion

À partir des années vingt, le thème du désert va perdre peu à peu son actualité picturale. Englué dans le problème plus général de la résonance coloniale des thèmes orientalistes, il sera de moins en moins utilisé par les peintres.

Les grands tableaux de commande, tels les décorations murales d'Emile Beaume dans les palais du Magreb, ou les grands panneaux du Musée de la Porte Dorée à Paris, sont consacrés à des scènes de genre où, lorsqu'il est utilisé, le désert redevient un décor d'arrière-plan. Une exception cependant est amusante à noter : les peintres du désert, en Russie soviétique, sont forcés de se convertir au réalisme socialiste. Certains réutiliseront le thème du désert pour chanter la louange des accomplissements marxistes léniniste, comme Martiros Sarian. Il en résulte des tableaux qui, s'ils respectent les changements stylistiques du XXeme siècle, sont fort proches, dans leur esprit, des tableaux exaltant les hauts faits militaires de la campagne napoléonienne en Egypte.


Martiros Sarian. Marche des unités arméniennes 1933.© WikiArt

Vous n'aviez pas lu les chapitres précédents ? Les voici:

L'EPOPEE DES PEINTRES DU DESERT

1. Partir pour peindre le désert
2. Le désert, un vide à apprivoiser
3. Le désert, un paysage à peindre
4. Le désert, un atout pour l'art moderne

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