Robert Chapuis est une figure marquante du magazine l’Officiel de la Mode dans les années 60. Photographe de Mode très prisé, il laisse libre cours à son œil d'artiste dans son travail à l'instar d'un Irving Penn.

Ses photographies se distinguent par la grande attention portée à la composition qui s'inspire des formes géométriques. Les références du Bau Haus
 et de l'avant-garde géométrique de l’entre-deux-guerres se retrouvent dans les photographies de Chapuis. Il réussit le tour de force de capturer un instant fugitif et spontané tout en pensant ses modèles comme des lignes épurées qui viennent composer une forme triangulaire ou encore tracer une diagonale. 
Cette sélection de photos retrace son travail sur la période des années 60 à 70.

LE BONHEUR
 
Sois heureuse ! qu’importe à tes yeux l’horizon
Et l’aurore et la nuit et l’heure et la saison,
Que ta fenêtre tremble aux souffles de l’hiver
Ou que, l’été, le vent du val ou de la mer
Semble quelqu’un qui veut entrer et qu’on accueille.
Sois heureuse. La source murmure. Une feuille
Déjà jaunie un peu tombe sur le sentier ;
Une abeille s’est prise aux fils de ton métier,

 
Car le lin qu’il emploie est roux comme du miel ;
Un nuage charmant est seul dans tout le ciel ;
La pluie est douce ; l’ombre est moite. Sois heureuse.
Le chemin est boueux et l’ornière se creuse,
Que t’importe la terre où mènent les chemins !
Sois heureuse d’hier et sûre de demain ;
N’as-tu pas, par ta chair divine et parfumée,
L’ineffable pouvoir de pouvoir être aimée ?

Henri de Régnier, La Cité des eaux, Mercure de France, s.d. (15e éd.) (p. 95-96).

À une femme

Enfant ! si j'étais roi, je donnerais l'empire,
Et mon char, et mon sceptre, et mon peuple à genoux
Et ma couronne d'or, et mes bains de porphyre,
Et mes flottes, à qui la mer ne peut suffire,
Pour un regard de vous !

Si j'étais Dieu, la terre et l'air avec les ondes,
Les anges, les démons courbés devant ma loi,
Et le profond chaos aux entrailles fécondes,
L'éternité, l'espace, et les cieux, et les mondes,
Pour un baiser de toi !

Victor Hugo (1802-1885), Les feuilles d’automne

Figure de rêve
Séquence

La très chère aux yeux clairs apparaît sous la lune,
Sous la lune éphémère et mère des beaux rêves.
La lumière bleuie par les brumes cendrait
D'une poussière aérienne
Son front fleuri d'étoiles, et sa légère chevelure
Flottait dans l'air derrière ses pas légers :
La chimère dormait au fond de ses prunelles.
Sur la chair nue et frêle de son cou
Les stellaires sourires d'un rosaire de perles
Étageaient les reflets de leurs pâles éclairs. Ses poignets
Avaient des bracelets tout pareils ; et sa tête,
La couronne incrustée des sept pierres mystiques
Dont les flammes transpercent le cœur comme des glaives,
Sous la lune éphémère et mère des beaux rêves.

Rémy de Gourmont (1858-1915)

Ton âme

Ton âme, c'est la chose exquise et parfumée
Qui s'ouvre avec lenteur, en silence, on tremblant,
Et qui, pleine d'amour, s'étonne d'être aimée.
Ton âme, c'est le lys, le lys divin et blanc.

Comme un souffle des bois remplis de violettes,
Ton souffle rafraîchit le front du désespoir,
Et l'on apprend de toi les bravoures muettes,
Ton âme est le poème, et le chant, et le soir,

Ton âme est la fraîcheur, ton âme est la rosée,
Ton âme est ce regard bienveillant du matin
Qui ranime d'un mot l'espérance brisée...
Ton âme est la pitié finale du destin.

Renée Vivien, Cendres et poussières

Mon amante a les vertus de l'eau

Mon amante a les vertus de l'eau : un sourire clair, des gestes coulants, une voix pure et chantant goutte à goutte. Et quand parfois, malgré moi - du feu passe dans mon regard, elle sait comment on l'attise en frémissant : eau jetée sur les charbons rouges.
*
Mon eau vive, la voici répandue, toute, sur la terre ! Elle glisse, elle me fuit ; - et j'ai soif, et je cours après elle. De mes mains je fais une coupe. De mes deux mains je l'étanche avec ivresse, je l'étreins, je la porte à mes lèvres : Et j'avale une poignée de boue. (...)

Victor Segalen (1878-1919)

La vie est plus vaine

La vie est plus vaine une image
Que l'ombre sur le mur.
Pourtant l'hiéroglyphe obscur
Qu'y trace ton passage

M'enchante, et ton rire pareil
Au vif éclat des armes ;
Et jusqu'à ces menteuses larmes
Qui miraient le soleil.

Mourir non plus n'est ombre vaine.
La nuit, quand tu as peur,
N'écoute pas battre ton coeur :
C'est une étrange peine.

Paul-Jean Toulet (1867-1920), Chansons

À deux beaux yeux

Vous avez un regard singulier et charmant ;
Comme la lune au fond du lac qui la reflète,
Votre prunelle, où brille une humide paillette,
Au coin de vos doux yeux roule languissamment ;

Ils semblent avoir pris ses feux au diamant ;
Ils sont de plus belle eau qu'une perle parfaite,
Et vos grands cils émus, de leur aile inquiète,
Ne voilent qu'à demi leur vif rayonnement.

Mille petits amours, à leur miroir de flamme,
Se viennent regarder et s'y trouvent plus beaux,
Et les désirs y vont rallumer leurs flambeaux.

Ils sont si transparents, qu'ils laissent voir votre âme,
Comme une fleur céleste au calice idéal
Que l'on apercevrait à travers un cristal.

Théophile Gautier, La comédie de la mort

C'est pour t'avoir vue

C'est pour t'avoir vue
penchée
à la fenêtre ultime,
que j'ai compris, que j'ai bu
tout mon abîme.
En me montrant tes bras
tendus vers la nuit,
tu as fait que, depuis,
ce qui en moi te quitta,
me quitte, me fuit...
Ton geste, fut-il la preuve
d'un adieu si grand,
qu'il me changea en vent,
qu'il me versa dans le fleuve ?

Rainer Maria Rilke, Les fenêtres

À une robe rose

Que tu me plais dans cette robe
Qui te déshabille si bien,
Faisant jaillir ta gorge en globe,
Montrant tout nu ton bras païen !

Frêle comme une aile d’abeille,
Frais comme un cœur de rose-thé,
Son tissu, caresse vermeille,
Voltige autour de ta beauté.

De l’épiderme sur la soie
Glissent des frissons argentés,
Et l’étoffe à la chair renvoie
Ses éclairs roses reflétés. (…)

Théophile Gautier, La comédie de la mort

La robe de laine

La robe de laine a des tons d'ivoire
Encadrant le buste, et puis, les guipures
Ornent le teint clair et les lignes pures,
Le rire à qui tout sceptique doit croire.
Oh! je ne veux pas fouiller dans l'histoire
Pour trouver les criminelles obscures
Ou les délicieuses créatures
Comme vous, plus tard, couvertes de gloire
Cléopâtre, Hélène et Laure. Ça prouve
Que, perpétuel, un orage couve
Sous votre aspect clair, fatal, plein de charmes.
Vous riez pour vous moquer de mes rimes ;
Vous croyez que j'ai commis tous les crimes !
Je suis votre esclave et vous rends les armes.

Charles Cros (1842-1888)

Le point noir

Quiconque a regardé le soleil fixement
Croit voir devant ses yeux voler obstinément
Autour de lui, dans l'air, une tache livide.
Ainsi, tout jeune encore et plus audacieux,
Sur la gloire un instant j'osai fixer les yeux :
Un point noir est resté dans mon regard avide.
Depuis, mêlée à tout comme un signe de deuil,
Partout, sur quelque endroit que s'arrête mon oeil,
Je la vois se poser aussi, la tache noire !
Quoi, toujours ? Entre moi sans cesse et le bonheur !
Oh ! c'est que l'aigle seul - malheur à nous, malheur !
Contemple impunément le Soleil et la Gloire.

Gérard de Nerval, Odelettes

Elle est gaie et pensive

Elle est gaie et pensive ; elle nous fait songer
À tout ce qui reluit malgré de sombres voiles,
Aux bois pleins de rayons, aux nuits pleines d'étoiles.
L'esprit en la voyant s'en va je ne sais où.
Elle a tout ce qui peut rendre un pauvre homme fou.
Tantôt c'est un enfant, tantôt c'est une reine.
Hélas ! quelle beauté radieuse et sereine !
Elle a de fiers dédains, de charmantes faveurs,
Un regard doux et bleu sous de longs cils rêveurs,
L'innocence, et l'amour qui sans tristesse encore
Flotte empreint sur son front comme une vague aurore,
Et puis je ne sais quoi de calme et de vainqueur !
Et le ciel dans ses yeux met l'enfer dans mon cœur !

Victor Hugo (1802-1885) Dernière Gerbe (Posthume, 1902)

Croquis

Beau corps, mais mauvais caractère.
Elle ne veut jamais se taire,
Disant, d'ailleurs d'un ton charmant,
Des choses absurdes vraiment.

N'ayant presque rien de la terre,
Douce au tact comme une panthère.
Il est dur d'être son amant ;
Mais, qui ne s'en dit pas fou, ment.

Pour dire tout ce qu'on en pense
De bien et de mal, la science
Essaie et n'a pas réussi.

Et pourquoi faire ? Elle se moque
De ce qu'on dit. Drôle d'époque
Où les anges sont faits ainsi.

Charles Cros (1842-1888)

Romance

C'est une puissance inconnue
Qui nous a perdus sous les bois :
Ma main brûlait dans sa main nue
Et mes doigts tremblaient dans ses doigts.

Le vent sautait de branche en branche,
Soupirant des vœux sans aveux,
Et pour baiser sa nuque blanche
Parfois soulevait ses cheveux.

Il me les jetait comme un voile
De parfums tièdes et d'ors roux;
Il gonflait sa robe de toile,
Et la plaquait sur mes genoux.

Mon front roulait dans les vertiges;
Le bois chantait, profond et noir :
Les fleurs, en jasant sur leurs tiges,
Se bousculaient pour nous mieux voir...

Elle cueillit à son corsage
Une rose qu'elle m'offrit :
— « Je t'aime... — Je meurs. — Soyez sage,
« On parle! C'est le vent qui rit.
— « Vous m'oublierez. — Tes mains sont douces !
— « Je suis bien lasse. — Je suis las... »
Oh! la complicité des mousses
Et la traîtrise des lilas!

Edmond Haraucourt (L'âme nue.)

Diamant du cœur

Tout amoureux, de sa maîtresse,
Sur son cœur ou dans son tiroir,
Possède un gage qu'il caresse
Aux jours de regret ou d'espoir.

L'un d'une chevelure noire,
Par un sourire encouragé,
A pris une boucle que moire
Un reflet bleu d'aile de geai.

L'autre a, sur un cou blanc qui ploie,
Coupé par-derrière un flocon
Retors et fin comme la soie
Que l'on dévide du cocon.

Un troisième, au fond d'une boîte,
Reliquaire du souvenir,
Cache un gant blanc, de forme étroite,
Où nulle main ne peut tenir.

Théophile Gautier (1811-1872)