Merio Ameglio. Huile sur toile. La tartane.

Tout commence par les commandes royales de tableaux représentant les grandes batailles maritimes. Puis sont peints les navires qui font la puissance navale d'un pays. Les marchands suivent l'exemple du pouvoir et font également peindre leurs bateaux, symboles de l'opulence de leur commerce. Ainsi naît peu à peu le genre "Marine". Navires et vaisseaux deviennent les sujets des artistes. Les bateaux ne manquent pas de faire rêver l'humble sédentaire à travers la perspective du voyage, la fascination pour l'inconnu, le mystère des océans qui semblent infinis.

L’homme et la mer

Homme libre, toujours tu chériras la mer !
La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme
Dans le déroulement infini de sa lame,
Et ton esprit n’est pas un gouffre moins amer.

Tu te plais à plonger au sein de ton image ;
Tu l’embrasses des yeux et des bras, et ton cœur
Se distrait quelquefois de sa propre rumeur
Au bruit de cette plainte indomptable et sauvage.

Vous êtes tous les deux ténébreux et discrets :
Homme, nul n’a sondé le fond de tes abîmes ;
Ô mer, nul ne connaît tes richesses intimes,
Tant vous êtes jaloux de garder vos secrets !

Et cependant voilà des siècles innombrables
Que vous vous combattez sans pitié ni remord,
Tellement vous aimez le carnage et la mort,
Ô lutteurs éternels, ô frères implacables !

Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal, Spleen et idéal

Bretagne

Pour que le sang joyeux dompte l'esprit morose,
Il faut, tout parfumé du sel des goémons,
Que le souffle atlantique emplisse tes poumons ;
Arvor t'offre ses caps que la mer blanche arrose.

L'ajonc fleurit et la bruyère est déjà rose.
La terre des vieux clans, des nains et des démons,
Ami, te garde encor, sur le granit des monts,
L'homme immobile auprès de l'immuable chose.

Viens. Partout tu verras, par les landes d'Arèz,
Monter vers le ciel morne, infrangible cyprès,
Le menhir sous lequel gît la cendre du Brave ;

Et l'Océan, qui roule en un lit d'algues d'or
Is la voluptueuse et la grande Occismor,
Bercera ton cœur triste à son murmure grave.

José-Maria de Heredia (1842-1905), Recueil Les trophées

Comme le marinier, que le cruel orage

Comme le marinier, que le cruel orage
A longtemps agité dessus la haute mer,
Ayant finalement à force de ramer
Garanti son vaisseau du danger du naufrage,

Regarde sur le port, sans plus craindre la rage
Des vagues ni des vents, les ondes écumer ;
Et quelqu’autre bien loin, au danger d’abîmer,
En vain tendre les mains vers le front du rivage :

Ainsi, mon cher Morel, sur le port arrêté,
Tu regardes la mer, et vois en sûreté
De mille tourbillons son onde renversée :

Tu la vois jusqu’au ciel s’élever bien souvent,
Et vois ton Du Bellay à la merci du vent
Assis au gouvernail dans une nef percée,

Joachim Du Bellay, (1522-1560) Les Regrets

Le navire

Nous avancions, tranquillement, sous les étoiles ;
La lune oblique errait autour du vaisseau clair,
Et l'étagement blanc des vergues et des voiles
Projetait sa grande ombre au large sur la mer.

La froide pureté de la nuit embrasée
Scintillait dans l'espace et frissonnait sur l'eau ;
On voyait circuler la grande Ourse et Persée
Comme en des cirques d'ombre éclatante, là-haut.

(…)

La belle immensité exaltait la gabarre,
Dont l'étrave marquait les flots d'un long chemin.
L'homme qui maintenait à contrevent la barre
Sentait vibrer tout le navire entre ses mains.

Il tanguait sur l'effroi, la mort et les abîmes,
D'accord avec chaque astre et chaque volonté,
Et, maîtrisant ainsi les forces unanimes,
Semblait dompter et s'asservir l'éternité.

Émile Verhaeren (1855-1905), Recueil : Les rythmes souverains

Le long du quai

Le long des quais les grands vaisseaux,
Que la houle incline en silence,
Ne prennent pas garde aux berceaux
Que la main des femmes balance.

Mais viendra le jour des adieux ;
Car il faut que les femmes pleurent
Et que les hommes curieux
Tentent les horizons qui leurrent.

Et ce jour-là les grands vaisseaux,
Fuyant le port qui diminue,
Sentent leur masse retenue
Par l'âme des lointains berceaux.

René-François Sully Prudhomme (1839-1907), Recueil : "Stances et poèmes".

Vaisseaux

Vaisseaux, nous vous aurons aimés en pure perte ;
Le dernier de vous tous est parti sur la mer.
Le couchant emporta tant de voiles ouvertes
Que ce port et mon cœur sont à jamais déserts.

La mer vous a rendus à votre destinée,
Au-delà du rivage où s’arrêtent nos pas.
Nous ne pouvions garder vos âmes enchaînées ;
Il vous faut des lointains que je ne connais pas.

Je suis de ceux dont les désirs sont sur la terre.
Le souffle qui vous grise emplit mon cœur d’effroi,
Mais votre appel, au fond des soirs, me désespère,
Car j’ai de grands départs inassouvis en moi.

Jean de La Ville de Mirmont, Recueil L'Horizon Chimérique

L'appel du large

Un matin nous partons, le cerveau plein de flamme,
Le cœur gros de rancune et de désirs amers,
Et nous allons, suivant le rythme de la lame,
Berçant notre infini sur le fini des mers.

Mais les vrais voyageurs sont ceux-là seuls qui partent
Pour partir, cœurs légers, semblables aux ballons,
De leur fatalité jamais ils ne s’écartent,
Et sans savoir pourquoi, disent toujours : Allons !

Amer savoir, celui qu’on tire du voyage !
Le monde, monotone et petit, aujourd’hui,
Hier, demain, toujours, nous fait voir notre image :
Une oasis d’horreur dans un désert d’ennui !

Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal

Je suis né dans un port

Je suis né dans un port et depuis mon enfance
J'ai vu passer par là des pays bien divers.
Attentif à la brise et toujours en partance,
Mon cœur n'a jamais pris le chemin de la mer.

Je connais tous les noms des agrès et des mâts,
La nostalgie et les jurons des capitaines,
Le tonnage et le fret des vaisseaux qui reviennent
Et le sort des vaisseaux qui ne reviendront pas.

Je présume le temps qu'il fera dès l'aurore,
La vitesse du vent et l'orage certain,
Car mon âme est un peu celle des sémaphores,
Des balises, leurs sœurs, et des phares éteints.

Les ports ont un parfum dangereux pour les hommes
Et si mon cœur est faible et las devant l'effort,
S'il préfère dormir dans de lointains arômes,
Mon Dieu, vous le vouliez, je suis né dans un port.

Jean de La Ville de Mirmont, Recueil L'Horizon Chimérique

Aurore sur la Mer

Je te méprise enfin, souffrance passagère !
J’ai relevé le front. J’ai fini de pleurer.
Mon âme est affranchie, et ta forme légère
Dans les nuits sans repos ne vient plus l’effleurer.
Aujourd’hui je souris à l’Amour qui me blesse.
O vent des vastes mers, qui, sans parfum de fleurs,
D’une âcre odeur de sel ranimes ma faiblesse,
O vent du large ! emporte à jamais les douleurs !
Emporte les douleurs au loin, d’un grand coup d’aile,
Afin que le bonheur éclate, triomphal,
Dans nos cœurs où l’orgueil divin se renouvelle,
Tournés vers le soleil, les chants et l’idéal !

Renée Vivien, Etudes et préludes

Sur la grève

Couche-toi sur la grève et prends en tes deux, mains,
Pour le laisser couler ensuite, grain par grain",
De ce beau sable blond que le soleil fait d'or;
Puis, avant de fermer les yeux, contemple encor
La mer harmonieuse et le ciel transparent,
Et, quand tu sentiras, peu à peu, doucement,
Que rien ne pèse plus à tes mains plus légères,
Avant que de nouveau tu rouvres tes paupières,
Songe que notre vie à nous emprunte et mêle
Son sable fugitif à la grève éternelle.

Henri de Régnier (Les Médailles d'argile.)

Rentrée de barques au crépuscule

Il est tard; la mer monte et l'obscurité fraîche
S'épeure de la voix plus houleuse du vent.
Au bout de la jetée, assis seul et rêvant,
Je regarde rentrer les barques de la pêche.

Sur l'eau calme du port elles filent sans bruit,
Déployant leurs carrés de grosse toile brune.
Elles glissent, oiseaux s'envolant à la brune,
Qui regagnent leur gîte en hâte avant la nuit.

Elles passent, et dans chacune je remarque
Deux silhouettes, l'homme et son gars, déplaçant
Des cordages, pliant les voiles, saisissant
Les rames, pour conduire au fond du port leur barque.

Elles s'égrènent, lent et grave chapelet.
Elles passent et n'ont plus forme et, tache sombre,
Chacune s'annihile et s'absorbe dans l'ombre,
Et dans l'eau se dissout leur fantomal reflet.

Et déjà les voilà très loin, images brèves
Par qui fut le miroir de l'eau du port ridé.
Et je regarde, au bord de mon âme accoude,
Au fil du souvenir rentrer aussi mes rêves.

André Foulon de Vaulx (La Statue mutilée.)

Les vieux vaisseaux

Je regrette les vieux vaisseaux dont la voilure,
Large et lourde, pendait du faîte au pied des mâts,
Et leurs pesants rouleaux de toile dont l'amas
Faisait fléchir l'antenne à l'immense envergure.

La marche du meilleur navire était peu sûre :
On dépendait du temps, des saisons, des climats ;
On restait immobile aux jours des calmes plats
Et parfois on errait longtemps à l'aventure.

Mais ils étaient si fiers les fins voiliers, si beaux,
Quand leurs voiles claquaient comme de grands drapeaux,
Puis s'enflaient tout d'un coup, souveraines et rondes !

L'ombre autour d'eux tombait en longs plis sur les eaux,
Et les voiles semblaient dans leurs courbes profondes
Porter en soupirant l'espoir de nouveaux mondes !

Jean Aicard (1848-1921), Les jeunes croyances (1867)

Comme des monstres apaisés
Les îles au-dessus de la mer
Se soulèvent mollement

Et leur puissance ingénue,
Que caressent des voiles blanches,
Emplit d'un inexplicable bonheur
La brume bleue du matin,

Gabriel Boissy
(1879-1949)
 

Nocturne

Ô mer, toi que je sens frémir
A travers la nuit creuse,
Comme le sein d’une amoureuse
Qui ne peut pas dormir ;

Le vent lourd frappe la falaise…
Quoi ! si le chant moqueur
D’une sirène est dans mon cœur 
Ô coeur, divin malaise.

Quoi, plus de larmes, ni d’avoir
Personne qui vous plaigne…
Tout bas, comme d’un flanc qui saigne,
Il s’est mis à pleuvoir.

Paul-Jean Toulet, Contrerimes

Le vaisseau d'or

Ce fut un grand Vaisseau taillé dans l'or massif:
Ses mâts touchaient l'azur, sur des mers inconnues;
La Cyprine d'amour, cheveux épars, chairs nues
S'étalait à sa proue, au soleil excessif.

Mais il vint une nuit frapper le grand écueil
Dans l'Océan trompeur où chantait la Sirène,
Et le naufrage horrible inclina sa carène
Aux profondeurs du Gouffre, immuable cercueil.

Ce fut un Vaisseau d'Or, dont les flancs diaphanes
Révélaient des trésors que les marins profanes,
Dégoût, Haine et Névrose, entre eux ont disputés.

Que reste-t-il de lui dans la tempête brève ?
Qu'est devenu mon coeur, navire déserté ?
Hélas! Il a sombré dans l'abîme du Rêve !

Emile Nelligan, Recueil Émile Nelligan et son œuvre

Les pauvres gens

L'homme est en mer. Depuis l'enfance matelot,
Il livre au hasard sombre une rude bataille.
Pluie ou bourrasque, il faut qu'il sorte, il faut qu'il aille,
Car les petits enfants ont faim. Il part le soir
Quand l'eau profonde monte aux marches du musoir.
Il gouverne à lui seul sa barque à quatre voiles.
La femme est au logis, cousant les vieilles toiles,
Remmaillant les filets, préparant l'hameçon,
Surveillant l'âtre où bout la soupe de poisson,
Puis priant Dieu sitôt que les cinq enfants dorment.
Lui, seul, battu des flots qui toujours se reforment,
Il s'en va dans l'abîme et s'en va dans la nuit.
Dur labeur ! tout est noir, tout est froid ; rien ne luit.
Dans les brisants, parmi les lames en démence,
L'endroit bon à la pêche, et, sur la mer immense,
Le lieu mobile, obscur, capricieux, changeant,
Où se plaît le poisson aux nageoires d'argent,
Ce n'est qu'un point ; c'est grand deux fois comme la chambre.
Or, la nuit, dans l'ondée et la brume, en décembre,
Pour rencontrer ce point sur le désert mouvant,
Comme il faut calculer la marée et le vent !
Comme il faut combiner sûrement les manœuvres !
Les flots le long du bord glissent, vertes couleuvres ;
Le gouffre roule et tord ses plis démesurés,
Et fait râler d'horreur les agrès effarés.
Lui, songe à sa Jeannie au sein des mers glacées,
Et Jeannie en pleurant l'appelle ; et leurs pensées
Se croisent dans la nuit, divins oiseaux du coeur.

Victor Hugo, La légende des siècles

Barcarolle

Vous me reverrez, je le crois;
Mais le caprice emplit le monde :
L'énigme des mers est profonde,
Et la foudre tombe parfois.

Lorsque nous quittâmes Athènes.
Si vermeil que fût le matin,
Le temps paraissait incertain
Autour des îles incertaines.

Nous partîmes, ce matin-là,
Sur un bateau chargé de branches.
Les voiles volaient, toutes blanches :
Il n'est de certain que cela.

Toutes blanches volaient les voiles !
Et, depuis ce matin vermeil,
Mes jours n'ont plus eu de soleil,
Et mes nuits n'ont plus eu d'étoiles.

Fernand Mazade

Le navire mystique

Il se sera perdu le navire archaïque
Aux mers où baigneront mes rêves éperdus,
Et ses immenses mâts se seront confondus
Dans les brouillards d'un ciel de Bible et de Cantiques.

Et ce ne sera pas la Grecque bucolique
Qui doucement jouera parmi les arbres nus ;
Et le Navire Saint n'aura jamais vendu
La très rare denrée aux pays exotiques.

Il ne sait pas les feux des havres de la terre,
Il ne connaît que Dieu, et sans fin, solitaire
Il sépare les flots glorieux de l'Infini.

Le bout de son beaupré plonge dans le mystère ;
Aux pointes de ses mâts tremble toutes les nuits
L'Argent mystique et pur de l'étoile polaire.

Antonin Arthaud, Premiers poèmes
 

Le vent

Un vieux pêcheur me dit sur ce port, l'autre année,
Que mon nom de famille était celui d'un vent
Qui souffle quelquefois en Méditerranée...
Moi! cet homme toujours à sa table écrivant,
Avec ses yeux brûlants et sa tempe fanée!...

Le nom d'un vent marin à qui veilla si tard,
Courbé sur son papier, raturant une page,.
Suivant la règle étroite où nous enferme l'art;
Sauf le' sien, ô bonheur, ignorant tout naufrage,
Et sauf pour quelque étoile ignorant tout départ!...

Je n'ai pas le désir de ces embarcadères
Aux odeurs de goudron, de paquebot, de port;
Je laisserais voguer les plus belles galères
Sans les accompagner d'un souhait, car le sort
N'est pas soumis au gré des brises étrangères.

Sensible seulement à ce qui vient du cœur,
C'est en fermant les yeux que je fais des voyages
Plus longs, plus périlleux que le navigateur,
Et c'est en moi que sont les plus chers paysages,
Sous l'azur immobile et le ciel migrateur.

Leo Larguier

C'était un petit matelot

C'était un petit matelot
Sur les flots de la mer indienne
C'était un petit matelot
Hé ho, hé ho, petit matelot

Un jour le temps se fit très gros
Sur les flots de la mer indienne
Un jour le temps se fit très gros
Hé ho, hé ho, petit matelot

Tomba de plus de vingt mètres de haut
Sur les flots de la mer indienne
Tomba de plus de vingt mètres de haut
Hé ho, hé ho, petit matelot

On mit les deux chaloupes à l'eau
Sur les flots de la mer indienne
On mit les deux chaloupes à l'eau
Hé ho, hé ho, petit matelot

Pour vite le tirer des flots
Sur les flots de la mer indienne
Pour vite le tirer des flots
Hé ho, hé ho, petit matelot

Mais on ne sauva que son chapeau
Sur les flots de la mer indienne
Mais on ne sauva que son chapeau
Hé ho, hé ho, petit matelot

Peut-être bien que le p'tit matelot
Sur les flots de la mer indienne
Est dans le ventre d'un cachalot
Hé ho, hé ho, petit matelot

Chanson de marin du 18è siècle